Séminaire

L'homme, le travail et le droit

Alain Supiot


imgActu

Le 23 mars 2019, le professeur Alain Supiot, spécialiste en droit du travail et théoricien et anthropologue du droit, a reçu les insignes de docteur honoris causa de l'Université de Liège, sur proposition de la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie.

La veille était organisé un séminaire au cours duquel le professeur, interrogé tout à tour par Mesdames Kéfer et Colemans et Messieurs Thirion, Decock, Aydogdu et Detienne, a partagé, avec son auditoire, dans une dynamique interactive de questions-réponses, une partie de son savoir et de ses stimulantes réflexions. 

Les propos de Monsieur Supiot relatifs à la fonction anthropologique du droit ont particulièrement retenu l'attention. En effet, cette question occupe une place de choix parmi ses intérêts scientifiques.

Selon lui, c'est l'entremêlement des liens du droit et de la parole qui fait accéder chaque nouveau-né à l'humanité, c'est-à-dire qui donne à sa vie une signification. Le droit revêt donc une dimension porteuse de sens. Par ailleurs, l'homme est, selon les mots de M. Supiot, un « animal métaphysique ». Il est, d'une part, un être biologique dans un univers de choses et, d'autre part, un être se déployant dans un univers de signes. Le droit (« faire de chacun de nous un « homo juridicus ») permet de relier ces deux dimensions de l'homme. Le droit « relie l'infinitude de notre univers mental à la finitude de notre expérience physique ». Et, puisque la folie n'est jamais loin lorsque l'on nie l'une des deux dimensions de l'être humain, on peut soutenir que le droit « remplit chez nous une fonction anthropologique d'institution de la raison ».

Après avoir exprimé ses distances par rapport au positivisme juridique, le professeur Supiot a insisté sur le fait qu'il considère le droit comme intrinsèquement lié à la justice. L'aspiration à la justice représente ainsi une donnée anthropologique fondamentale.

La notion de tiers-garant a ensuite été abordée. Monsieur Supiot est parti du concept de « fondements dogmatiques », que l'on doit à Monsieur Pierre Legendre et qui vise des croyances dogmatiques non démontrables donnant un sens à l'existence des hommes. Les coutumes, la langue maternelle, le droit, constituent des fondements dogmatiques de la société. Les sociétés nécessitent un tiers-garant duquel dégager leurs fondements dogmatiques. En Occident, lors de la période de laïcisation, l'Etat a pris le rôle de tiers-garant des fondements dogmatiques en lieu et place de l'Eglise. Aujourd'hui, en raison de la quantification et de l'objectivisation du social, le tiers-garant tend à s'effriter, ce qui mènera, à terme à la violence, à la loi du plus fort.

Le professeur Supiot s'est également penché sur la question du travail humain et inhumain. Le travail permet de se confronter au réel, ce qui permet l'institution de la raison, elle-même concevable à la condition que ce travail soit véritablement humain. Il est deux possibilités de travail inhumain : soit le travailleur est traité comme une machine, ce qui implique qu'on lui retire la pensée, soit on n'envisage la réalité du travailleur que par le prisme quantifié des objectifs à atteindre.

Par la suite, Monsieur Supiot a fait part à son auditoire de sa déception concernant le rapport de la commission mondiale de l'OIT sur l'avenir du travail « Travailler pour bâtir un avenir meilleur ». Alors qu'à l'origine, la vocation de l'Organisation internationale du travail était de proposer des solutions normatives, ledit rapport se borne à des déclarations d'intentions.

Concernant la célèbre notion de « gouvernance par les nombres », le professeur, après avoir rappelé que sa méthodologie n'est pas guidée par la nostalgie de « l'Etat impartial », mais par le souci de saisir objectivement la réalité, l'a résumée de manière limpide : il s'agit d'une forme de mariage entre l'idéologie de marché et l'imaginaire cybernétique.

Pour clore l'après-midi, Monsieur Supiot a exprimé sa perplexité quant à l'usage combiné des termes « science » et « juridique » : pour lui, seule la casuistique, c'est-à-dire les cas concrets, la procédure, le contentieux, sont au cœur du domaine juridique et croire que l'on pourrait en faire une science neutre, à l'égale des sciences exactes, sans considération de juste et de l'injuste, reviendrait à se bercer l'illusions.

Partagez cette news