Interview

Nadège Brassine obtient une bourse FRESH pour étudier la délinquance juvénile


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Son projet vise à démontrer l’intérêt d’une approche plus humanisante dans l’évaluation et la réinsertion sociale des personnes mineures en conflit avec la loi.

Peux-tu nous en dire plus sur ton projet de recherche ?

Je m’intéresse à la prise en charge des personnes mineures en conflit avec la loi et, plus précisément, à la manière dont est menée la phase évaluative. Pour contextualiser, depuis 2018, la réforme de la protection de la jeunesse en Communauté française, structure la prise en charge de ces jeunes en deux étapes : l’évaluation, pendant laquelle on cherche notamment à prédire le risque de récidive, et l’intervention, où l’on détermine concrètement la forme de la prise en charge.

Pour l’évaluation, l’approche habituellement retenue se focalise sur les risques que la personne représente et les aspects problématiques de sa situation. C’est un modèle qui laisse finalement peu de place à l’individu, ne considérant que les aspects négatifs de son identité et se centrant sur les conduites délinquantes exclusivement. Au travers de mon projet de recherche, je souhaite démontrer l’intérêt de pratiques qui prennent en compte les forces et les ressources des jeunes.

C’est une façon de faire beaucoup plus humanisante, qui implique les jeunes dans leur réhabilitation en leur donnant des perspectives et en identifiant avec eux les ressources qu’ils possèdent déjà. Concrètement, on identifie avec eux leurs besoins et les ressources qu’ils peuvent mobiliser pour les réaliser, sans passer par la délinquance.

Mes recherches viseront notamment à valider l’outil d’évaluation du risque de récidive, ERIFORE, développé par ma promotrice Cécile Mathys et déjà utilisé sur le terrain en Belgique francophone et au Québec. ERIFORE présente la caractéristique novatrice de combiner une évaluation des problématiques et des forces de la personne mineure en conflit avec la loi.

Comment en es-tu venue à t'intéresser à ce sujet ?

Au cours de mon bachelier d’assistante sociale, j’ai eu l’occasion de réaliser des stages au contact de jeunes placés en IPPJ (Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse). Cela a été une vraie révélation pour moi, j’en ai fait ma vocation. Et c’est d’ailleurs ce qui m’a poussée à me lancer dans un master en criminologie.

En parlant avec les jeunes, j’ai constaté qu’ils étaient pleins de ressources et que cet aspect n’était pas suffisamment pris en compte. En faisant des recherches, j’ai découvert l’existence d’autres approches en matière de réhabilitation psychosociale, comme le « Good Lives Model ». La rencontre avec ma promotrice, dont l’approche va dans le même sens, a également été déterminante.

Quels pourraient être les impacts concrets de ta recherche ?

Les impacts se situent à différents niveaux. Pour les personnes mineures en conflit avec la loi, d’abord, intégrer les forces dans leur évaluation leur renvoie une image beaucoup moins stigmatisante d’elles-mêmes. On ne pointe plus uniquement leurs difficultés. Aussi, cela peut constituer une bonne accroche pour la prise en charge, en leur permettant d’y voir un sens, car cela sous-entend implicitement que le changement est possible, et qu’elles ont des ressources à mobiliser.

Au niveau sociétal, je suis convaincue qu’une approche plus holistique de la situation des jeunes permettra d’évaluer leur risque de récidive de façon plus juste, en mettant en évidence leurs difficultés, mais aussi leurs ressources. Généralement, ce risque de récidive est surestimé par le personnel psycho-social qui accorde beaucoup d’importance aux conduites délinquantes et à la gravité de l’acte.

Enfin, au niveau de la communauté scientifique, les approches basées sur les forces manquent encore de légitimité, car il n’y a pas suffisamment de preuves empiriques de leur efficacité. Mon projet pourrait permettre d’apporter des éléments tangibles en faveur de ces méthodes.

Quelles sont les prochaines étapes pour ta recherche ?

Dans un premier temps, je vais vérifier les qualités psychométriques de l’outil ERIFORE. Pour ce faire, je vais analyser des dossiers des jeunes qui ont été évalués sur base de cet outil et également rencontrer des intervenant.e.s de terrain qui utilisent ERIFORE.

Dans un second temps, je réaliserai un second travail de collecte de données directement auprès des jeunes concerné.e.s pour examiner leurs perceptions quant à leur environnement de prise en charge qui intègre le Good Lives Model, l’alliance thérapeutique qui se forme avec le personnel psycho-social, ou encore la façon dont ils/elles se sentent motivé.e.s ou non à s’impliquer dans leur prise en charge. Ces différentes variables seront analysées avec la récidive officielle, de façon à vérifier ce qui, dans la prise en charge, peut être mis en relation avec la (non) récidive.

Son parcours

Nadège est titulaire d’un bachelier d’assistante sociale et d’un master en criminologie de l’Université de Liège. En 2021, elle a obtenu la médaille du Fonds David-Constant. Avant d'obtenir la boourse FRESH, Nadège a contribué au projet de recherche financé par Belspo, intitulé @ntidote, qui porte sur deux formes de cyberviolences chez les jeunes âgés de 15 à 25 ans : le discours de haine en ligne et le partage non consensuel d’images intimes.

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