Interview

Entretien avec Pierre Delvenne, Maître de Recherches FNRS


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Avec Pierre Delvenne, notre Faculté compte désormais son premier Maître de Recherches FNRS ! À l’occasion de cette promotion, nous nous sommes entretenus avec lui sur son parcours, ses recherches et les perspectives qu’elles ouvrent pour Cité.

En 2014, tu avais été nommé Chercheur Qualifié au FNRS. Tu viens d'être promu « Maître de Recherches ». Félicitations ! Peux-tu nous en dire plus sur le processus d’évolution au sein du FNRS ?

Le FNRS distingue 3 grades parmi ses mandats à durée indéterminée : Chercheur Qualifié, Maître de Recherches et Directeur de Recherches. Le titulaire du mandat de Chercheur Qualifié peut solliciter la promotion au titre de Maître de recherches à partir de la huitième année académique qui suit sa nomination. Cette demande peut être présentée au maximum 3 fois en 9 ans.

Les postes permanents FNRS au sein de notre Faculté ont augmenté ces dernières années, mais restent rares par rapport à sa taille (4 mandats à durée indéterminée à ce jour). Comment cela s’explique-t-il ?

En effet, obtenir un mandat à durée indéterminée au sein du FNRS n’est pas évident, car le nombre de postes disponibles est limité. Même si l’employeur est le FNRS, il y a un nombre défini de postes permanents au sein de chaque institution. Pour être nommé, il faut donc à la fois passer le barrage de l’évaluation scientifique FNRS, mais aussi être considéré comme suffisamment stratégique au sein de l’institution pour pouvoir décrocher un mandat. 

En 2014, tu étais le premier au sein de la Fac à décrocher un mandat de Chercheur Qualifié. Aujourd’hui, vous êtes 4 !

En effet ! Depuis lors, le contexte a beaucoup changé et nous comptons aujourd’hui 4 chercheurs permanents FNRS : Kim Hendrickx, François Thoreau, Ljupcho Grozdanovski et moi-même. C’est assez incroyable, car nous avons quadruplé notre effectif de permanents FNRS en à peine 2 ans.

Il y a 8 ans, quand j’ai obtenu le premier poste de Chercheur Qualifié, on parlait peu de la possibilité de décrocher des mandats FNRS au sein de la Faculté. Cela restait assez exceptionnel. Aujourd’hui, c’est devenu une vraie possibilité pour nos chercheurs et chercheuses et je m’en réjouis.

Je suis convaincu que c’est en grande partie grâce à la dynamique mise en place au sein de notre Unité de Recherche Cité et des centres de recherche comme le Spiral. C’est tout un écosystème qui favorise l’interdisciplinarité et la reconnaissance de différentes possibilités de carrières pour les chercheurs.

Comment sollicite-t-on une promotion au titre de Maître de Recherche au FNRS ?

Il faut remettre un dossier de candidature en deux parties. D’une part, il s’agit de faire état de sa trajectoire de recherche au cours des années précédentes en tant que Chercheur Qualifié. Sur quoi a-t-on travaillé ? Qu’a-t-on publié ? On attend non seulement du Chercheur Qualifié qu’il mène ses recherches, mais aussi qu’il construise une équipe à ses côté, qu’il encadre des thèses, qu’il s’engage au service de la communauté et des structures institutionnelles…

D’autre part, le candidat doit se projeter dans l’avenir et décrire son programme de recherche pour les 5 à 10 prochaines années.

Comment cela s’est-il passé pour toi ?

Bien apparemment, puisque j’ai obtenu la promotion du premier coup ! C’est un exercice qui n’est pas évident et qui peut sembler fastidieux quand on commence à remplir le dossier, même s’il ne compte au final – pour la partie scientifique – que quelques pages. Mais c’est aussi l’opportunité de prendre un peu de distance pour évaluer ce que l’on a fait et vers où on veut aller. Au final, ce document constitue une sorte de boussole qui permet d’orienter sa trajectoire scientifique.

Justement, vers où te projettes-tu dans les 10 années à venir ?

C’est une question à laquelle il n’était pas facile de répondre, en tout cas pour moi. Certains chercheurs se consacrent pleinement à un sujet précis et suivent un sillon bien tracé. En ce qui me concerne, creuser mon sillon m’amène à explorer des terrains de recherche assez variés.

Mon programme de recherches s’intitule « Pour ce que ça vaut : une enquête sociotechnique sur les formes de valeur et les biographies des choses diminuées ». Je m’intéresse à la façon dont la valeur se constitue, se configure. Comment elle se forme, se perd, se gagne à mesure que des objets comme des cellules ou des sites industriels sont (dé)valorisés. Plutôt que de suivre des acteurs, je retrace donc les trajectoires biographiques de choses qui font l’objet de multiples formes d’échange économique lorsqu’elles passent de main en main.  

Par exemple, je termine en ce moment une recherche où j’ai observé le prélèvement et la manipulation des cellules souches humaines et animales en travaillant au plus près de chercheurs en sciences biomédicales et vétérinaires. Ces cellules permettent de développer des thérapies cellulaires innovantes. Au fil de leur parcours, ces « choses » - que j’appelle diminuées parce qu’elles évoluent à l’extérieur de leur milieu habituel - sont très fragiles, prennent et perdent de la valeur économique, politique, sociale, thérapeutique… J’étudie leur circulation, les dynamiques politiques, juridiques et institutionnelles dans lesquelles elles s’inscrivent et la façon dont leur valeur se re-configure, par exemple lorsqu’elles sont déposées dans une bio-banque, servent de base à la R&D ou sont modifiées et réinjectées dans un corps.

À l’avenir, en plus de cet axe médical que je vais poursuivre et élargir, je souhaite explorer le réaménagement des friches industrielles en collaboration avec d’autres chercheurs de mon équipe.

Au travers de ces recherches, la grande question sociologique et politique à laquelle je tente de répondre est « Qu’est-ce que la valeur ? ». Je croise de l’économie politique avec des STS (Science and Technology Studies), mais j’emprunte aussi à la sociologie économique ou à l’anthropologie culturelle pour comprendre les rapports complexes qu’entretiennent la technoscience et le capitalisme. Je pose l’hypothèse que les choses économiques, en particulier celles qui sont diminuées, peuvent rapidement changer de forme économique au cours de leur vie : au départ d’un don, elle peuvent être marchandisées, constituer un actif financier, puis soudain revenir à une forme antérieure…  

Ces mouvements sont passionnants à étudier et m’apparaissent comme essentiels pour comprendre les mutations du capitalisme industriel et techno-scientifique tel qu’il évolue aujourd’hui.

Pour conclure et en restant sur la thématique de la valeur, quelle est pour toi la valeur ajoutée de ce mandat de Maître de Recherches pour la Faculté ?

Pour moi, il s’agit d’un indicateur, parmi d’autres, de la vitalité de notre Unité de Recherche. En dehors des contenus produits par une Faculté, le nombre de scientifiques permanents, de centres de recherches, de projets portés par des bailleurs externes témoignent de sa valeur et de sa reconnaissance scientifique internationale. Nous pouvons être fiers du chemin parcouru ces dernières années !

Par ailleurs, ce mandat ouvre également un nouveau programme de recherche qui ne va pas uniquement me concerner, mais va ouvrir des champs d’exploration pour les doctorants et postdoctorants de la Faculté qui y participeront.

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